top of page
  • Facebook
  • Instagram
Rechercher

Le Paradis

  • Photo du rédacteur: sandrine perroud
    sandrine perroud
  • 19 sept.
  • 3 min de lecture
Une rue de nuit
Crédit : Wix Images


Ça représente à peine quatre ou cinq mètres carrés. Dans un passage souterrain de la ville. On dirait une erreur de dimensionnement. Une petite grotte creusée sous une rampe d'accès. Il y a aussi un muret. La nuit tombée, il se recouvre de cannettes de bières et de bouteilles d’alcools.


Les hommes – toujours des hommes – s’y tiennent debout. On y parle les langues du monde entier. On se prend dans les bras, on pleure et on rit.


Il faut dire que les gens d'ici ont des habitudes étranges pour nous. La nuit, ils restent chez eux. Ou ils vont au restaurant. Passés 30 ans, on ne les voit quasi plus dans la rue.


Et l’hiver est si long.


Nous, on sait qu’au-dehors se tissent des liens forts. Loin de la solitude de nos appartements anonymes, on se raconte nos vies chaotiques. La vie de l’exil. Comment on est arrivé dans cette ville lacustre ennuyeuse. Une ville un peu trop proprette. Trop petite, aussi, pour qu’on y trouve notre place.  


Alors on se retrouve au « Paradis ». Parce que c’est comme ça qu’on a appelé ce qui ressemble plutôt à un purgatoire. Ni en surface. Ni en sous-sol.


Un coin de ville oublié qui fait passer le temps. A côté du Paradis se trouve la bibliothèque municipale. Lumières éteintes. Tout près des rayons des bandes dessinées et des livres de voyages.


On va pisser un peu plus loin. Des toilettes publiques qui donnent sur l’entrée d’un club. Là-bas, le prix des boissons vaut dix fois celui de notre Paradis. Les jeunes s'agglutinent à l'entrée. Ils fument, envoient des messages et parlent fort.


Durant la soirée, les gens nous passent tout autour. Ils font une tête indifférente, désapprobatrice ou inquiète. Il y a les femmes craintives. Les racistes. Les gens bourrés. Nous, on s'en fout, on est dans notre bulle. Inatteignables.


C’est l’avantage d’être au Paradis.


Les bars et les clubs ne nous intéressent plus. On a passé l’âge de regarder une piste de danse en se demandant ce qu'on fout là. Le regard vide. La solitude qui bat dans nos veines.


Ah, c’est sûr, le Paradis, c’est encore la meilleure solution.


Parfois, un type amène à manger. Un truc de chez lui qu’on va partager tous ensemble. Avec des rasades de bière, de vodka et de rhum arrangé. Souvent, c’est un plat qui lui rappelle son pays. Sa mère. Sa femme, restée là-bas. Les repas avec ses enfants. La vie d’avant. Alors, il nous raconte.


Je vais au Paradis les vendredis soirs. Après ma semaine à la plonge du restoroute.


C’est pas trop mal, l’Auto-Grill. Les horaires sont clairs, les collègues pas compliqués. On est de toute façon trop occupés pour se chamailler.


Les vendredis, il y a des hommes de mon pays. On n’ose pas prendre d’enceintes. Les flics nous ont dit que c’était la limite. Alors on discute. On mange un peu et on boit, surtout.


Je rentre dans mon studio de la Rue de Genève en titubant. J’y croise des compatriotes en train de faire le tapin.


Ça me fait de la peine de les voir comme ça. Je pourrais en chialer. L’alcool me fait sortir toute la tristesse que je garde bien serrée en moi le reste du temps.


Je ne sais pas si les prostituées ont elles aussi leur coin de paradis.


Septembre 2025.


Note : Ce lieu de rencontre informel a bel et bien existé à Lausanne. A force de passer devant et d'y voir des hommes s'y retrouver, je lui ai imaginé une histoire.

Posts récents

Voir tout

Commentaires


bottom of page